Impossible d’apprécier par les moyens hypnotico-conversationnels la manière qu’a Emmanuelle
d’accompagner. Parce qu’à vrai dire je ne capte pas grand-chose, et c’est précisément ce qui m’inspire.
Chaque séance est un voyage. Si vous êtes d’accord, elle vous prend par la main.
Là, c’est déjà étrange : vous devenez l’être le plus important au monde.
Des mots s’échangent, on se dit bonjour est-ce que ça va, il y a des
silences et sans qu’on y prenne garde on se met à marcher. En bordure de
forêt.On longe la lisière, sans intention précise. Sans volonté. Que de la
curiosité.
La forêt de broussailles, je la croyais impénétrable et dangereuse quand
un chemin s’est dessiné. On est entrées. C’est moi qui ai voulu.
C’est bien plus ample que prévu, cette forêt, et pas si effrayant. Le
sol craque mais ne se dérobe pas. Il y a des odeurs d’humus et de
champignon, des bruits de bois. Un pivert, un hibou, un cloporte. Je
touche les arbres. Je m’aventure, pieds nus sur la mousse de mes ombres
humaines.
Je ne sais pas à quel moment j’ai lâché la main ; je sais qu’Emmanuelle
est là. Je sais qu’elle est là alors je peux me perdre. Aller n’importe où.
Parfois je cale, ou bien j’ai trop peur, alors elle me montre un chemin
que je n’avais pas vu.
Ma sécurité entre ses mains j’explore en fractales la densité des
sous-bois, et quand je trouve quelque chose, je ne sais pas ce que
c’est. Un trésor ? Un monstre ? On s’en fout. Je gratte, j’écarte les
feuilles mortes.
Et le sol se met à trembler.
À genoux par terre, la vibration me gagne et me traverse. Elle fait
trembler mes cellules de toute leur cohésion, bien plus large et solide
que j’aurais pu croire.
La puissance de la forêt à travers moi. La vérité d’une émotion, la
simplicité de ce qui est, sans manière, ce qu’il fallait de terre et
d’ombre pour sentir la lumière sans laquelle elle n’existerait pas.
Au début, elle pique les yeux et brûle les couleurs, la lumière. C’est
par manque d’habitude. Sa chaleur sur ma peau, la vie dans mes veines.
Je me redresse et je marche sur mes pieds dans les couleurs d’océan et
les odeurs d’iode.
Tiens ! Emmanuelle est là. Comment ça va, chouchou ? elle demande.
On sourit. On check.
Sur le bord du chemin il y a un vélo. Il n’a pas de roulettes mais ce
n’est pas un problème.
Je suis super forte en vélo.
Valérie Beuslin – artiste sculptrice, céramiste et romancière