Ecrire un synopsis, c’est répondre à cette interrogation en forme de paradoxe : comment résumer une histoire qu’on n’a pas encore écrite ? Question à laquelle il est d’autant plus difficile de répondre que cette étape obligée des conventions d’écriture en télévision – et souvent demandée dans les dossiers de demande d’aide à l’écriture – est sous payée par rapport au travail qu’elle demande… quand elle est payée.

On a beau expliquer que c’est là que tout se joue, le problème du producteur c’est qu’en général, à cette étape, il n’a pas encore signé de convention d’écriture – et qu’il hésite toujours à s’engager autrement qu’en paroles ; le problème de la chaîne, c’est qu’elle ne sait pas si elle va vouloir de votre histoire, si votre synopsis va lui plaire, ou encore si « on l’a déjà traité » (et vous aurez beau hurler que ce sujet n’a pas été traité de votre POINT DE VUE, on ne vous entendra pas, mais je digresse)…

Tant que l’un n’est pas sûr d’obtenir l’argent qui lui servira à vous payer, tant que l’autre n’est pas convaincue de vouloir de votre histoire, au milieu des milliers de projets qu’elle reçoit, vous pourrez leur réciter le petit Lavandier en latin, pisser dans des violons ou envoyer des pierres à la lune, il y a peu de chances pour qu’ils mettent la main au porte-monnaie, et vous pouvez d’ores et déjà programmer un régime dissocié coquillettes-patates à l’eau pendant le temps que durera la rédaction de ce satané synopsis.

Donc, résumer une histoire qui n’existe pas, et sans avoir aucune certitude que vous serez payé de votre peine. Comment faire ? D’autant que ce n’est pas tout…

Vous avez pris votre courage à deux mains, refait le ménage, obtenu un crédit à mille pour cent auprès de votre banque, et vous avez pondu votre synopsis. Douze, quinze pages maximum pour les plus bavards (après, c’est un traitement, et ce n’est pas ce qu’on vous demande !), avec de beaux personnages, un début, un milieu et une fin, une ambiance, du suspens, du rire, des larmes, de la fraîcheur, un « vrai » sujet et des thématiques dans l’air du temps… Vous êtes content de vous. Profitez-en, les ennuis n’ont fait que commencer.

Parce que le problème, c’est qu’un synopsis tel que celui-là, c’est quasiment toujours trop, ou pas assez. Pas assez, on vous dira d’un air gêné que oui, pourquoi pas ? Mais qu’on voudrait en lire plus. Repassez par la case départ, et ne touchez pas vingt mille euros. Trop, c’est peut-être pire. Parce que cette histoire – qui aurait forcément énormément évolué au cours de l’écriture, avec la réflexion sur le découpage, le rythme, les ellipses du séquencier, et encore à l’étape des dialogues – cette histoire, donc, la moindre des lignes qui la composent devient sujette à questions et critiques, et vous risquez de ressortir de votre réunion avec un tas de mots en ruines… Pourquoi ? Parce que « directeurs » littéraires, producteurs et chargés de programme sont malheureusement mûs plus par la peur que par le désir ou la curiosité. Le risque artistique, c’est à vous de le prendre. Eux, ce n’est pas dans leur contrat.

Que faire alors ? C’est simple. Ne pas écrire de synopsis.

Pardon, je recommence : ne pas écrire le résumé d’une histoire qui n’existe pas. Résister à la tentation de tout raconter, de tout bétonner, de tout donner. Au contraire, faites des promesses ! Laissez des vides, des blancs, des espaces ouverts à la rêverie, au désir, à la curiosité de votre lecteur. Donnez-lui la possibilité de projeter l’histoire qu’il aurait écrite à votre place. Je vous entends ricaner. Mais oui, il faut l’admettre et faire avec : vos lecteurs, les « décideurs », auraient tous pu l’écrire, votre histoire, et mieux que vous. Qu’ils pensent. Laissez-les penser, et donnez-leur à rêver.

Mais ça veut dire quoi, ne pas tout raconter ? Qu’écrire, alors ? Il n’y a pas de réponse, pas de recette. Ça dépend de votre histoire.

Je crois qu’il existe un monde des histoires – juste à côté du monde des idées – où elles vivent depuis que le premier scénariste (un sorcier vivant il y a quelques centaines de milliers d’années du côté de l’Asie Mineure) se mit un soir à raconter à sa tribu rassemblée autour du feu, comment l’homme avait conquis l’animal qui brûle… Depuis ce temps, toutes les histoires ont été racontées, et elles contemplent le monde des hommes en cherchant impatiemment le prochain élu qui saura les dire comme personne avant lui. Quand elles l’ont repéré, elles lui envoient une idée, une étincelle, comme on laisse tomber son mouchoir : suivez-moi jeune homme ! Mais les histoires ne sont pas des gourgandines. Elles ne se donnent pas facilement, pas plus qu’elles ne s’abandonnent au premier venu. Il faut penser à elles, tourner autour, leur conter fleurette, les séduire en un mot, pour qu’elles acceptent de se laisser raconter. La première figure de ce ballet amoureux que vous improvisez, car il est à chaque fois différent, c’est justement la rédaction de ce « synopsis » peu orthodoxe que je propose.

Que peut-on s’attendre à y trouver ?

D’abord l’idée, l’étincelle, le premier appel de l’histoire. En quelques mots, rares et choisis, le sujet de votre récit, que certains nomment la proposition dramatique principale. Ce pour quoi il vous paraît urgent et fondamental de raconter, maintenant, cette histoire-là et pas une autre. Ensuite, vous pouvez broder – ce qui ne veut pas dire tirer à la ligne. Expliquer en quoi votre histoire a du sens AUJOURD’HUI. En quoi elle vous touche, ce qui fait que vous voulez la raconter et pourquoi il vous paraît important qu’on vous donne les moyens de le faire. Il peut aussi y avoir quelques paragraphes intitulés « le début », « le milieu », « la fin », mais où vous devrez toujours faire preuve de retenue. Ne donner que le meilleur de votre réflexion – toute jeune encore à ce stade.

Attention au piège du « trop ». Il s’agit de faire sentir au lecteur que vous avez de quoi le surprendre, tout en lui laissant la liberté de rêver à votre histoire, de la désirer, lui aussi. Ce synopsis doit tenir en six ou sept pages, en comptant aussi une description des personnages. Car il faut, c’est indispensable, INCARNER votre histoire dans un personnage principal, et ses deux ou trois interlocuteurs majeurs. C’est par leur truchement que vous raconterez votre histoire, c’est à eux qu’on s’identifiera, ce sont eux qui seront – ou pas ! – capables de captiver votre lecteur. C’est la force, la vérité, l’humanité de vos personnages qui feront que votre récit sera fort, vrai et humain. Et c’est la cohérence que le lecteur pourra ressentir intuitivement entre votre sujet et la caractérisation de vos personnages, qui fera – si vous avez laissé suffisamment de place à ses rêves et à ses désirs – qu’il aura envie d’en lire plus.

Mais n’oubliez pas : chaque histoire est unique. Ces conseils ne sont que des pistes à explorer, des chemins à parcourir, à vous d’en faire votre miel. Pour sortir du formatage qu’ils dénoncent à juste titre, il me semble que les scénaristes devraient s’appliquer, à trouver pour chaque histoire, une façon nouvelle et unique de la résumer… avant de l’avoir écrite.